Conte au temps du confinement

Il était une fois au temps de la pandémie qui fut la base de l’effondrement d’une civilisation…

Eros…

Les antiques romains m’appelaient Cupidon… Probablement le premier à m’attribuer ce nom était enrhumé et qu’en réalité il voulait dire CuBidon vu celui que m’ont attribué les peintres de leur Moyen-âge en me portraiturant en angelot aussi fessu que joufflu. Porno de mineur et en plus sexiste car en réalité je suis nongenré. Appelez-moi plutôt Eros, dieu de l’amour. Au moins les Grecs me représentaient en adolescent mûr. En fait les êtres vivants de la planète Terre ne peuvent me voir qu’en imagination puisqu’ils sont prisonniers de la lumière et que je suis un principe immatériel, une vue de l’esprit qui a pour mission de semer l’amour dont ma soeur Thanatos moissonnera la récolte.

Autant les humains me représentent obèse autant ils l’imaginent squelettique enrobée de noir avec une faux entre les mains. C’est faux évidemment puisqu’elle est la miséricordieuse qui enterre la souffrance. Ce n’est jamais elle qui donne la mort mais qui accueille les morts. C’est une incommensurable différence.

Ainsi en temps de cataclysme naturel, de carnage entre humains ou de pandémie, elle en a plein les bras et maudit les fauteurs de guerre, les éléments ou les microbes. Ça montre à quel point elle est compatissante. Personnellement j’attends que toutes ces calamités passent pour faire mon boulot de reconstruction avec tout ce que ma soeur a récolté.

Après ces désastres, normalement ce qui reste des vivants est TRÈS coopérant pour recréer une courbe démographique satisfaisante. Le baby-boom qui a suivi leur deuxième guerre mondiale en est un exemple.

Mais voici que mon travail assez jouissif jusque là est en train de muter avec ce malheur nouveau qui frappe actuellement les humains. Toutes les données ont été bouleversées par leur prodigieux bond en avant technologique.

Cette révolution bien plus létale qu’un simple microbe a pour nom Intelligence artificielle. Elle est en train de se substituer à l’intelligence pure et simple pour désorganiser le fondement même de ce qu’ils nomment pompeusement LEURS civilisations. La grande majorité des humains ne rêvent plus de semer mais de gober n’importe quoi tant le virtuel a remplacé le réel au détriment du naturel. Ils vivent de plus en plus sans s’en rendre compte dans un monde où même leur nourriture est élevée ou cultivée artificiellement.

Tenez, je prends pour exemple cette longue file d’humains qui attendent de se faire vacciner. Il n’y a pas si longtemps ils auraient patienté en bavardant, en médisant du prochain, en rouspétant, en se chamaillant, quelquefois en lisant ou la plupart du temps en quittant la file après avoir vociféré contre les autorités. Il y en avait souvent même qui profitaient de l’occasion pour se draguer, ce que je privilégiais évidemment. Ben là non. Rien pantoute. Les voyez-vous trop sagement bien alignés à la queue leu leu ? Masqués et à bonne distance les uns des autres, les humains des deux sexes ont leurs yeux fixés sur leurs téléphones dits intelligents. Et ils avancent mécaniquement sans se préoccuper de ce qui les entoure. Les deux sexes ne se regardent même pas… ou juste un bref coup d’oeil avant de replonger dans leur maudite machine.

Combien peut-il y avoir ici d’hommes et de femmes qui attendent depuis des heures ayant perdu la notion du temps et de l’espace, fascinés qu’ils sont par l’écran qui les captive ? Plusieurs centaines de muet(e)s patientent EN LIGNE au propre comme au figuré et c’est bien ça qui me spontaragonfle comme aurait dit Rabelais ou le Capitaine Bonhomme.

Ça fait des heures et des heures que j’attends l’opportunité de sentir la moindre particule de frémissement sexuel mais rien. Le désert émotionnel total. Comment puis-je accomplir mon devoir avec ces êtres asexués ?

Oups ! Je parlais trop vite. ENFIN il semble se passer quelque chose là-bas. Je flaire une trace d’émoi. Une fille qui s’excuse d’avoir effleuré inconsciemment un garçon après ne pas s’être arrêtée à temps pendant que la ligne avançait. Vite, je vous laisse, je me rue pour attiser cette braise avant qu’elle ne s’éteigne.

Suite au prochain numéro

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